Il y a urgence de réconcilier l’action avec les ambitions
Les efforts annoncés et déployés au Canada en vue d’atteindre les objectifs climatiques de 2030 sont-ils suffisants et cohérents ? Dans le rapport Cap sur la carboneutralité : le jalon 2030, l’Institut de l’énergie Trottier (IET) de Polytechnique Montréal souligne qu’il n’y a rien de moins sûr, si l’on se fie à l’information disponible. En plus de démontrer l’énorme fossé qui sépare les actions annoncées publiquement de celles qui sont nécessaires pour franchir cette étape, l’IET offre des pistes pour réajuster le tir, en optimisant les solutions d’un point de vue économique.
La trajectoire analysée est celle proposée par les provinces et le gouvernement fédéral suivant l’adoption, le 30 juin 2021, du projet de loi C-12. Ce projet de loi fixe pour 2030 un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 à 45 % par rapport à 2005. Cette cible constitue un premier jalon, en vue de l’atteinte de la carboneutralité en 2050.
Le rapport de l’IET appuie ses analyses sur la comparaison de trois exercices de modélisation récents : 1) Avenir énergétique du Canada 2020 (Régie de l’énergie du Canada), 2) Projections des émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques au Canada 2020 (Environnement et Changement climatique Canada) et 3) Perspectives énergétiques canadiennes 2021, une publication cosignée par les auteurs de ce présent rapport.
Ainsi, « en comparant les projections sectorielles de réduction des émissions de GES de ces rapports avec les mesures chiffrables annoncées publiquement, notre analyse identifie des manques majeurs qui devront être comblés très rapidement si le Canada veut atteindre ses objectifs pour le jalon 2030 », affirme Normand Mousseau, co-auteur du rapport, directeur scientifique de l’IET et professeur de physique à l’Université de Montréal.
Le défi de 2030, intimement lié à celui de 2050
Pas question, toutefois, de multiplier les mesures à la marge. « Le défi d’atteindre les cibles de 2030 a profondément changé, en raison de l’objectif de carboneutralité à long terme. Tant que la cible de 2050 supposait une réduction ambitieuse des GES de 70 %, voire de 80 %, on pouvait considérer comme viables des solutions de décarbonation partielle, comme le remplacement de combustibles ou des mesures plus vigoureuses en matière d’efficacité énergétique. » précise Simon Langlois-Bertrand, co-auteur du rapport et spécialiste des questions énergétiques.
Une telle approche n’est désormais plus réaliste d’un point de vue économique si l’on se concentre sur un horizon de 30 ans. Selon les auteurs, il est en effet insensé de déployer des solutions technologiques, comme le gaz naturel dans les transports, qui devront être remplacées dans 15 ou 20 ans. De plus, lorsqu’on cherche à atteindre des émissions nulles, l’incapacité d’un secteur ou d’un sous-secteur à se décarboner complètement ne peut être compensée par des réductions issues d’autres secteurs, mais uniquement par le captage et la séquestration du carbone, une technologie à laquelle on ne doit recourir qu’en dernier ressort, compte tenu des incertitudes entourant ses coûts et ses possibilités de mise à l’échelle.
En conclusion, il est crucial d’éviter de prendre des mesures à court terme qui entraveront le plan à plus long terme.
Secteurs cruciaux
Quatre secteurs sont présentés comme cruciaux : la production d’électricité, la production pétrolière et gazière, le transport et les bâtiments. Or, la planification des vigoureuses transformations attendues dans ces secteurs ne semble pas être amorcée.
Par exemple, pour atteindre le niveau de décarbonation prévu dans le secteur de l’électricité, y compris dans la production et la distribution, une planification à l’échelle provinciale – qui peut s’étendre sur plusieurs années – est requise. À l’heure actuelle, les provinces qui produisent beaucoup d’électricité d’origine fossile, comme l’Alberta, la Saskatchewan et l’Ontario, ne semblent pas être en voie d’élaborer de plans conséquents.
De même, les réductions projetées par Environnement et Changement climatique Canada dans le secteur des transports, 19 % en une dizaine d’années, impliquent un changement de cap profond pour un secteur dont les émissions ne cessent de croître depuis des décennies. Ici encore, les mesures annoncées et chiffrables analysées dans ce rapport suggèrent qu’il manque des éléments importants qui vont au-delà d’un resserrement des objectifs de ventes des véhicules personnels à zéro-émission pour atteindre ces réductions.
Avec une action majeure et immédiate, le Canada peut réduire ses émissions de 40 % dans la prochaine décennie
Le rapport souligne qu’il est encore possible pour l’économie canadienne de réduire les émissions de GES de 40 % au cours des dix prochaines années. Des solutions sont viables, tant sur le plan technologique qu’économique. Toutefois, des actions majeures et rapides, au-delà de ce qui est déjà annoncé publiquement et mis en place, sont nécessaires pour renverser la tendance. Ces actions doivent être amorcées dès maintenant et être coordonnées entre les divers ordres de gouvernement.
« Il n’est pas impossible que, derrière des portes closes, les gouvernements commencent à élaborer des mesures chiffrables pour les secteurs identifiés ici. Si c’est le cas, il est urgent que cette information soit rendue publique, à la fois pour aider la population à comprendre et les entreprises à se préparer à l’ampleur des transformations à venir, de même que pour permettre aux analystes de valider de manière indépendante la pertinence et l’efficacité de ces mesures. Il faut contribuer à cet effort collectif. », ajoute Louis Beaumier, directeur exécutif de l’Institut de l’énergie Trottier.