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4e SYMPOSIUM TROTTIER : JOUR 2

Retour sur les deux conférences du jour 2 du 4e Symposium annuel Trottier sur l’ingénierie, l’énergie et la conception durables, qui avait lieu les 11 et 12 avril 2017, à Polytechnique Montréal.

  1. LA MOBILITÉ DES PERSONNES

Marie-Hélène Massot, professeure à l‘École d’Urbanisme de Paris, est venue questionner les solutions mises en place en France pour réduire la dépendance des individus à l’automobile. C’est somme toute un constat d’échec qu’elle dépeint, en présentant quatre grands leviers n’ayant pas généré les résultats escomptés.

Dédiée aux activités habituelles et récurrentes, la mobilité du quotidien constitue un moteur d’insertion sociale et économique. En France, la voiture y assure 83 % des distances parcourues en semaine et plus de 90 % pendant la fin de semaine. Ce créneau représente 71 % des émissions de CO2 liées à la mobilité individuelle.

La mobilité : une pratique sociale
Du point de vue de Mme Massot, le problème de l’automobile n’en est pas un de comportement des individus, mais bien de cohérence politique. Les déplacements que nous réalisons tous les jours sont dérivés des attentes de la société à notre égard. Ils se construisent autour d’un système de contraintes spatiales, temporelles, économiques et familiales, lesquels sont dictées par la société et ses institutions. La mobilité est donc, avant toute chose, une pratique sociale.

Néanmoins, en France, la question du transport est traitée à travers une logique politique. Elle explique qu’en zone dense, il y a multiplication des services, sans optimisation des offres par rapport aux besoins. À l’inverse, rien ou presque n’est initié en zone peu dense, à l’exception du covoiturage de courte distance à destination des gares de train.

De plus, nous savons que, depuis le début des années 80, le nombre de déplacements par personne n’a pas augmenté. Toutefois, en raison de l’étalement urbain, la distance parcourue a fait un bond considérable. Cette urbanisation a d’ailleurs mis en relief l’enjeu d’accessibilité et du luxe du temps qui y est associé. Des commodités aujourd’hui réservées à une minorité de la population.

Les ouvriers ayant élu domicile là où le loyer est moins cher – et où les services sont invariablement moins nombreux -, la courbe traditionnelle du transport public a été inversée. Ces derniers n’en sont plus les usagers principaux. Ce sont dorénavant les plus riches qui en profitent et, ironiquement, sur la base d’une tarification uniforme qui les avantage.

Pendant ce temps, le parc automobile continue de croître dans les territoires plus éloignés. À cet effet, Mme Massot déplore que « la mobilité automobile restera automobile dans les territoires peu denses », tant et aussi longtemps que la politique publique concentrera ses efforts dans les grands centres.

Intermodalité 
L’intermodalité est un exemple de pratique n’ayant pas séduit les Français. Dans la région parisienne, la combinaison de plusieurs modes de transport au cours d’un même déplacement n’est en effet utilisée que pour 3,4 % des déplacements. De même, la durée moyenne des voyages étant de 17 minutes dans les villes de provinces, les ruptures de charge qu’impliquent les changements de mode sont perçues comme trop coûteuses en temps et en énergie. En général, on consentira davantage à emprunter une correspondance sur la base d’un trajet plus long, d’une durée de 45 minutes ou plus.

En revanche, la multimodalité est beaucoup plus courante. Lors de déplacements différents, 53 % des citadins varient les modes de transport qu’ils utiliseront dans les zones denses comme Paris et Lyon. De façon très circonstancielle et en fonction de leur destination, ces derniers utilisent le mode le plus performant. Selon le lieu, l’heure ou les motifs, ils savent jouir du confort, du prix et de la vitesse. Ils choisiront ainsi l’offre la plus pertinente pour leurs besoins.

Report modal de l’auto-solo
Une analyse sur la substitution potentielle de la voiture, au profit du transport public, a révélé que les incitatifs mis en place se heurtent plus souvent qu’autrement à l’argument tenace du « budget temps ». Conduite avec la participation de Mme Massot, cette analyse visait entre autres à mesurer la part des déplacements pour lesquels l’automobile pouvait être remplacée par un transport moins polluant, et ce, sans augmenter le temps consacré au transport.

Résultats : dans l’agglomération lyonnaise, 82 % des conducteurs ne pourraient pas faire autrement leur mobilité. En zone parisienne, ce chiffre atteint 92 %. C’est donc dire qu’en dépit de la croissance de l’offre de transport public, les conducteurs demeurent attachés à la vitesse que leur procure la voiture. Bref, lorsqu’elles impliquent un trajet plus long, les stratégies de réduction l’usage de la voiture sont peu concluantes.

Mobilité partagée
Dans les 30 dernières années, la voiture symbolisait surtout le lieu de l’intime en France. Aujourd’hui, avec l’idée de la mobilité partagée, cette perception a évolué. La voiture peut désormais être conçue comme une source de revenus, de rencontres et d’expériences.

Or, la mobilité partagée s’est organisée autour d’un modèle d’affaires qui n’est toujours pas à point, selon Mme Massot. Tracés sur les contours flous des lois en place, ces modèles sont, de surcroît, surtout développés dans les zones denses, là où les alternatives à l’auto-solo sont déjà nombreuses.

Petits véhicules urbains
Troquer sa voiture pour un petit véhicule urbain, tel qu’un scooter électrique, pourrait contribuer à réduire la consommation de carburants fossiles. Cependant, les réserves exprimées vis-à-vis cette solution sont à la fois techniques, économiques et politiques.

En effet, après s’être posé les questions « est-ce que mes déplacements sont réalisables avec ce type de véhicule ? » et « y a-t-il un bénéfice économique à m’équiper d’un véhicule qui ne satisfait que partiellement mes besoins en mobilité ? », seulement 27 % des personnes auraient un intérêt à remplacer leur véhicule. Un seuil qui, aux dires de Mme Massot, ne justifie pas de militer auprès de la classe politique en faveur d’une révision des modes d’exploitation des réseaux.

« La voiture gagne par KO »
Compte tenu de ce qui précède, Mme Massot en vient à s’incliner devant le triomphe de l’automobile, particulièrement pour les groupes de citoyens moins fortunés qui résident en périphérie des grands centres.

Ainsi, pour se défaire de notre dépendance, vaudrait-il mieux envisager de diminuer le besoin de mobilité à la source? Une idée peu viable selon elle, car les déplacements quotidiens sont intimement liés à l’activité économique, structurante pour la société.

« Dans ce contexte, respecter nos engagements en termes environnementaux relèvera d’actions sur les parcs automobiles en termes de taille, poids et motorisation et sur la hausse du prix de la mobilité. La réflexion sur ce qu’il conviendrait de faire pour assurer un droit à la mobilité des plus vulnérables d’entre nous en devient de plus en plus nécessaire. », concluait-elle.


  1. LA MOBILITÉ DES MARCHANDISES

Avec Hervé Levifve, conseiller en transports à la Mairie de Paris, le Symposium s’est aussi penché sur la réalité de la mobilité des marchandises. Son exposé relevait les faits saillants de la question, telle qu’abordée dans la Ville lumière.

Avec une forte concentration d’emplois, de bâtiments, de commerces et de visiteurs, les métropoles polarisent un grand nombre de flux nécessaires à leur fonctionnement.

Au chapitre de la mobilité des personnes, les transports collectifs et actifs prennent plus de plus en plus d’importance. Les progrès sont toutefois moins au rendez-vous pour la mobilité des marchandises.

On observe en effet une augmentation des flux liés aux nouvelles formes de consommation ainsi qu’une prédominance marquée pour le mode routier. Dans le secteur des livraisons, 90 % des marchandises sont transportés par la route. À Paris, ce pourcentage s’applique sur une moyenne de 1,7 M de mouvements de marchandises par semaine.

L’écosystème logistique mis en place soutient les activités économiques. Matières premières, produits de consommation, denrées alimentaires et autres sont livrés aux commerces et aux travailleurs. Sachant que les transactions contribuent à faire rouler la métropole, Paris gagne à voir transiter les marchandises avec efficacité. Toutefois, cette dynamique est opérée aux dépens de la qualité de l’air et de la fluidité de circulation.

Dans ce contexte, comment répondre aux exigences environnementales? Selon M. Levifve, c’est en capitalisant sur une organisation spatiale différente et sur des véhicules mieux adaptés que l’on peut aborder une partie du défi.

À l’heure actuelle, deux forces contraires s’opposent : efforts de rationalisation chez les plus gros acteurs, mais éclatement et multiplication des flux chez les plus petits.

Une diversité de petits joueurs s’activent en effet à répondre aux demandes de livraisons instantanées de consommateurs de plus en plus exigeants, friands de commerce en ligne.

D’un autre côté, les collectivités et les entreprises font preuve d’innovation pour apporter des solutions : durcissement des réglementations d’accès, mobilisation de foncier pour la logistique en milieu urbain, nouvelles formes d’organisation, solutions adaptées à la livraison de colis aux particuliers. Sans être des solutions miracles, celles-ci ont l’avantage de tenir compte de la diversité des tissus urbains en plus d’être adaptées à la cinquantaine de filières économiques présentes en ville.

L’organisation spatiale
Les centres de distribution urbain (CDU), par exemple, ont été implantés de façon à ce que toutes les livraisons convergent vers un point d’entrée, en marge de la ville. À partir de cet endroit, des véhicules propres sont utilisés. Dans les années 1990, plus de 200 CDU ont émergé en Europe. Aujourd’hui, bien qu’ils soient moins nombreux, leur modèle a été éprouvé et ils sont plus robustes.

Par ailleurs, des entreprises comme Monoprix et Franprix ont recours à des sites multimodaux. Ils conjuguent ainsi les modes de transport fluvial, ferroviaire et routier pour approvisionner, à eux deux, 170 magasins de la ville.

Dans un même ordre d’idées, pour distribuer la marchandise en émettant moins de polluants, Paris a réhabilité 10  terrains lui appartenant en espace logistique urbain (ELU). Ces lieux accueillent des colis une fois par jour afin de les redistribuer le jour même avec des véhicules propres. Puis, au terme des tournées de livraisons quotidiennes, les véhicules peuvent se stationner directement dans cet espace et n’ont donc pas à rejoindre des entrepôts situés hors Paris.

Les moyens de transport
On accuse un déficit d’offre de véhicules adaptés pour la ville. La plupart sont pensés pour les autoroutes et sont inadéquats pour les réalités urbaines.

Les caisses mobiles ont aussi le vent dans les voiles. Ces conteneurs format réduit optimisent  le processus de livraison par la manipulation d’unités de taille unique. Cette approche a même réhabilité l’utilisation des péniches, qui deviennent alors des entrepôts flottants à bord desquels des employés réalisent les opérations de tri, rentabilisant par le fait même le déplacement. Une fois à Paris, de petits véhicules électriques servent au déchargement et à la livraison. En desservant différents points dans la ville, ce système de cabotage constitue une réponse adaptée à la rareté des espaces physiques disponibles en zone dense et aux problèmes de trafic routier.

La demande
Après s’être penché sur l’organisation spatiale et l’adaptation des moyens de transport, un troisième chaînon s’ajoute à l’équation : le client.

 « Le client reste aujourd’hui le sujet sur lequel nous avons le moins d’emprise, tout en étant celui qui a le plus de poids. Tant que le client gardera des exigences fortes, il sera difficile de mieux organiser les livraisons. »

Pour sensibiliser la population aux impacts de leur comportement d’achat, un effort de pédagogie s’avèrera crucial. C’est que, les implications des nouvelles offres de livraisons en moins de 24 heures ne sont pas nécessairement connues du grand public. En effet, cette forme de « livraison à la pièce » génère des flux supplémentaires. Et, pour rencontrer les délais, ces nouveaux mouvements dans la ville s’effectuent très souvent en pleine heure de pointe, n’ayant pas le luxe d’attendre que le trafic routier se dissipe.

« Réapprendre à attendre », voilà donc une piste suggérée en guise de conclusion par M. Levifve.


25/05/2017