Entrevue avec la boursière Trottier Marianne Perron
Convertir la biomasse résiduelle du milieu agricole en énergie. C’est ce sur quoi se concentre le projet de maîtrise de la boursière Trottier, Marianne Perron.
Dotée d’un passé en danse classique (14 ans de formation), d’un baccalauréat en génie aérospatial et d’une curiosité qui ne connait pas de limites, elle intègre son équipe de recherche à l’hiver 2021. « Il y a un côté artistique au génie. Innover, ça demande d’être ouvert et créatif. Tout comme danser demande de la discipline, de la détermination et un grand souci du détail », répond-elle lorsqu’interrogée sur sa transition entre le monde de la danse et celui de la recherche en ingénierie.
Avec cette soif d’apprendre qui la caractérise, elle plonge tête première. Les travaux qui l’occupent depuis janvier s’inscrivent au cœur de la vision zéro émissions nettes du professeur Étienne Robert, qui travaille au développement d’outils pour éliminer progressivement l’usage de combustibles fossiles dans les champs québécois.
Produire de la chaleur autrement
Les combustibles polluants sont omniprésents sur les fermes. Ils assouvissent les besoins liés au transport, au travail du sol, au chauffage des serres, au séchage des grains et au fonctionnement des machineries lourdes. Pourtant, une autre ressource énergétique est accessible à même les terrains des agriculteurs. Abondante et essentiellement gratuite, cette ressource, c’est la biomasse résiduelle. En l’occurrence : des matières organiques pouvant se transformer en énergie. On parle ici de copeaux de bois, d’épluchures de maïs et d’enveloppes de graines de céréales. Des ressources – disponibles en quantité renouvelable – sur lesquelles les agriculteurs sont assis depuis trop longtemps. Avec ces résidus autrefois laissés au champ ou simplement jetés, ils pourront produire leur propre carburant et réduire considérablement leur facture énergétique.
« L’objectif est de rendre disponible une machine, que l’on peut imaginer comme une chaudière, dans laquelle on ferait brûler partiellement la biomasse récoltée. On peut raffiner des biocarburants à partir des produits de cette oxydation partielle. De la chaleur excédentaire est également disponible. Le projet vise l’étude de systèmes de stockage d’énergie thermique pouvant absorber les pointes de demandes. Cela pourrait être adapté à toutes sortes d’industries dans le milieu agricole. Chaque cultivateur aurait son petit système de production d’énergie qu’il activerait selon ses besoins. », explique Marianne.
Économies de carbone et économies d’argent. Voilà les deux grandes plus-values de ce projet qui promet de renverser les rôles. De consommateurs, les producteurs agricoles passeront à fournisseurs d’énergie.
Bénéfices écologiques
Au Canada, la filière agro-alimentaire est responsable de 8,5 % des émissions de gaz à effet de serre (GES). Appliquée à grande échelle, la solution développée pour répondre différemment aux tâches énergivores du secteur a le potentiel de réduire significativement cette empreinte.
La biomasse sera convertie en deux produits principaux : en biocarburants, pour faire avancer les tracteurs et en chaleur, notamment pour maintenir la température de serres. À l’heure actuelle, l’essentiel de la charge de chauffage est comblé en brûlant des énergies fossiles. « Il y a d’importants gains à faire, ne serait-ce qu’au chapitre du transport du mazout », note Marianne, à propos de la livraison de produits issus du pétrole qui s’effectuent sur de grandes distances. « Si, par exemple, une serre en venait à acheter de la biomasse résiduelle d’un producteur à proximité, l’économie sur le transport à elle-seule serait déjà énorme. L’approvisionnement en énergies renouvelables est d’autant plus vert s’il est local. »
Vitalité économique
Si ce projet de décentralisation de production d’énergies renouvelables laisse présager un avenir plus sobre en carbone, sa durabilité surpasse la seule question des émissions de GES évitées. Une vision de redistribution des pouvoirs teinte la démarche. C’est que, en exploitant la biomasse, on transforme résidus en revenus. Une bonne nouvelle considérant que l’énergie représente plus de la moitié des dépenses de beaucoup d’exploitants agricoles.
« Nous voulons voir les cultivateurs et les éleveurs optimiser les bénéfices qu’ils peuvent tirer de leurs ressources. Notre travail consiste à développer les solutions technologiques dont ils auront besoin pour participer activement à l’approvisionnement en énergie de leur ferme. L’idée est qu’ils puissent non seulement diminuer leurs coûts d’opération, mais aussi éventuellement générer un revenu en revendant les surplus à des voisins. C’est un beau réseau de partage qui peut être créé. » précise le directeur de recherche, le professeur Étienne Robert, pour expliquer les avantages socioéconomiques de ce nouveau flux d’énergie.
« Ces gens qui nous nourrissent, ils doivent être au cœur de la solution. », fait-il valoir.
La contribution de Marianne
Marianne travaille à la modélisation thermique du système, afin que celui-ci prenne en compte toutes les variabilités de la réalité terrain. Ses analyses détermineront le potentiel d’implantation de la technologie.
Trois partenaires (les Serres Excel, Hydro-Québec et l’Union des producteurs agricoles) lui fournissent d’importantes données. Grâce à celles-ci, elle établit le profil de la demande thermique et de la consommation d’électricité de différentes cultures. Les statistiques de récolte et de production au Québec lui sont également utiles dans ses calculs de prédictions.
Enfin, pour guider au mieux la conception du système et organiser son fonctionnement, elle analyse les perspectives de stockage à court, moyen et long terme de la chaleur. En intégrant tous ces paramètres, son objectif est de mettre au point un mode opérationnel économiquement rentable et efficace en toute saison. L’adaptation au climat nordique du Québec constitue ainsi une clé importante du succès du projet.
« C’est grâce à la bourse Trottier que je peux compléter la maîtrise sans avoir à me soucier des aspects financiers. C’est un coup de pouce significatif pour l’avancement d’une idée porteuse de changements positifs. Je me considère privilégiée d’avoir l’opportunité de m’y consacrer entièrement », conclut Marianne.
Elie Antar, étudiant au doctorat et également boursier Trottier, travaille parallèlement sur un prototype de la technologie. À moyen terme (2-3 prochaines années), une usine pilote devrait voir le jour. Le projet, qui bénéficie de plusieurs aides (bourses d’études et subventions de recherche) de l’Institut de l’énergie Trottier, en est donc un à suivre!
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