Actualités

CRÉDITS CARBONE POUR LA DESTRUCTION D’HALOCARBURES : UNE FAUSSE BONNE IDÉE

Au Québec, la gestion des halocarbures accuse plusieurs lacunes. À un point tel que d’importants efforts visant la réduction des émissions de GES sont déployés au bénéfice d’activités qui, paradoxalement, contribueraient à leur augmentation. C’est le fonctionnement inopportun du marché du carbone québécois qui est mis en cause, dans un rapport conjoint de l’Institut de l’énergie Trottier de Polytechnique Montréal et de l’Accélérateur de transition.

Les halocarbures, surtout utilisés dans les appareils de climatisation et de réfrigération, sont des gaz problématiques en raison de leur effet démontré : ils appauvrissent la couche d’ozone et accentuent le réchauffement climatique. Or, aucune stratégie québécoise ne propose de s’attaquer au problème à la source. Ce problème, c’est le relâchement de ces gaz polluants dans l’atmosphère, causé par les fuites difficiles à colmater dans les circuits de réfrigérants.

Les fuites, grandes responsables des émissions de GES associées à l’exploitation des halocarbures, devraient être l’ennemi #1. Les auteurs estiment en effet qu’il serait grand temps d’envisager des mesures pour limiter leurs échappements, surtout que le rapport révèle qu’il existe un potentiel significatif de réduction par rapport à la situation actuelle.

Destruction : à quel coût ?
En guise d’action, le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) a plutôt choisi d’instaurer, en 2015, un système de crédits compensatoires valorisables sur le marché du carbone pour la destruction de certains halocarbures. Une initiative louable, car elle a pour objectif d’encourager la transition vers des solutions plus vertes. Toutefois, le processus d’attribution de ces crédits se voit accablé de plusieurs griefs dans le présent rapport.

Il faut savoir que les propriétaires d’appareils fonctionnant avec des halocarbures (par exemple des gestionnaires d’immeubles commerciaux, des restaurateurs, des propriétaires de supermarchés, etc.), ont l’obligation de faire récupérer ces gaz lorsque leurs appareils atteignent la fin de vie. Au Canada, les coûts pour ce service, exécuté par Refrigerant Management Canada (RMC), sont internalisés dans le prix même de l’halocarbure à travers un écofrais. Les auteurs se questionnent donc : si la facture de traitement du gaz est acquittée au moment de l’achat, pourquoi Québec attribue-t-elle, en plus, des crédits carbone ?

D’ordinaire, au Québec et dans le reste du Canada, la gestion des halocarbures en fin d’utilisation suit les étapes suivantes. Il faut d’abord que les propriétaires d’appareils ayant rendu l’âme fassent appel à une entreprise pour disposer de leur gaz, tel que le prescrit la règlementation. Celle-ci a alors le choix de traiter le gaz pour le réutiliser dans d’autres appareils ou de le confier à une compagnie spécialisée dans la destruction de ces gaz. Dans le cas des gaz avec le plus d’impact sur l’environnement, la réutilisation est interdite. La chaîne de procédures prévoit alors que leur destruction soit financée par RMC, avec les fonds originalement perçus à l’achat.

Cependant, au Québec, une deuxième option existe. Si l’entreprise qui a récupéré le gaz peut justifier que la destruction de celui-ci permettrait d’éviter des émissions de GES, alors elle peut voir à sa destruction sans impliquer RMC et demander des crédits compensatoires pour les émissions évitées. Cette option s’avère bien sûr plus attrayante puisque les crédits seront par la suite revendus à profit à des organisations émettrices de GES qui doivent acquérir des droits d’émissions.

La destruction d’halocarbures est donc une véritable manne financière. Et elle est d’autant plus lucrative qu’elle est dominée à ce jour par une seule compagnie, PureSphera, qui a obtenu par ce système quelque 455 000 crédits compensatoires, attribués par le MELCC spécifiquement pour cette fin. Cela représente au bas mot une somme de 7 M$.

Cibles ratées
Les auteurs considèrent que la règlementation et l’évolution naturelle du secteur sont suffisantes pour favoriser la destruction d’halocarbures. À titre d’exemple, il est interdit depuis 2013 de réutiliser les halocarbures de la famille des chlorofluorocarbure (CFC), c’est-à-dire ceux les plus nuisibles pour la couche d’ozone. Ce faisant, les CFC ne peuvent plus fuir d’appareils et, dès lors, ne peuvent plus émettre de GES. Au vue de ce cadre légal, il est également permis de penser que leur élimination serait déjà bien entamée depuis maintenant 9 ans.

Les incitatifs financiers du marché du carbone paraissent donc, une fois de plus, injustifiés. Ceci, sans compter que le MELCC autorise l’attribution de crédits compensatoires pour des halocarbures récupérés à travers le Canada. Cette faille fait en sorte que le Québec pourrait détruire des halocarbures d’autres provinces, ce qui n’aurait aucun impact sur les émissions de GES au Québec mais qui permettrait à des entreprises québécoises sur le marché du carbone d’émettre davantage.

GES évités ?
À priori, encourager la destruction des halocarbures les plus polluants pour les remplacer par des gaz moins impactant apparaît comme une bonne idée. Mais il s’avère difficile d’apprécier les gains réels, puisque le calcul que fait le MELCC des émissions de GES ainsi évitées est truffé d’incertitudes.

Si les gaz substituts sont effectivement moins nocifs pour la couche d’ozone, ils ne sont pas pour autant tous moins dommageables sur le plan du réchauffement climatique. C’est, du moins, un doute que soulève les auteurs. Car, bien que le MELCC considère que ses substituts modélisés présentent une meilleure performance environnementale, cela ne correspond ni avec l’avis des spécialistes interrogés dans le cadre de la préparation de ce rapport, ni avec le bilan des ventes d’halocarbures au Québec qu’a analysé les auteurs.

En plus des trous dans les calculs, on découvre que la sélection des gaz utilisés pour remplacer un halocarbure s’appuie sur des données américaines. Or, les différences de climat entre le Québec et les États-Unis modifient le paysage des utilisations d’halocarbures. Par exemple, le nombre de climatiseurs est significativement différent aux États-Unis vs au Québec. Cela joue sur l’importance de chaque halocarbure et, conséquemment, sur l’ampleur des émissions de GES rejetées dans l’atmosphère. Il s’agit là d’un élément de plus qui amène les auteurs à se questionner sur la représentativité des données utilisées.

En somme, ils redoutent que l’ensemble de l’opération nous éloigne de nos objectifs climatiques, plutôt que de nous en approcher.

Le besoin d’une analyse propre au Québec
Certaines incohérences dans les règles d’attribution des crédits du marché du carbone québécois doivent être corrigées.

Le rapport conclut qu’il est essentiel de recueillir des données de qualité en ce qui concerne les appareils qui utilisent des halocarbures au Québec, incluant la nature des réfrigérants utilisés, les substituts réellement utilisés, les taux de fuite réels des différents appareils ainsi que les raisons de ces fuites.

Cette analyse, spécifique au Québec, permettrait d’obtenir enfin un portrait réaliste de la situation et de mieux calculer les impacts des crédits carbones et des autres mesures de réduction sur la destruction d’halocarbures et les émissions de GES qui sont associées à ce secteur.

Consulter le rapport.


18/02/2022