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CHANGEMENTS CLIMATIQUES
RETOUR SUR LE SIXIÈME SYMPOSIUM ANNUEL TROTTIER

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Le 6e Symposium annuel Trottier sur l’ingénierie, l’énergie et la conception durables s’est déroulé le 17 avril 2019, à la Grande Bibliothèque (BAnQ). Cette édition, dont le thème portait sur les changements climatiques et la transition juste, était organisée par l’Institut de l’énergie Trottier (IET) de Polytechnique Montréal.

Animée par Normand Mousseau, directeur académique de l’IET, la rencontre s’est déroulée devant une salle comble. Près de 300 personnes étaient présentes afin d’écouter Valérie Masson-Delmotte et Mario Tremblay aborder les changements à venir, qu’ils soient d’ordre climatiques, institutionnels ou sociaux.

 

Valérie Masson-Delmotte : le climat d’aujourd’hui et de demain
La climatologue française Valérie Masson-Delmotte a ouvert la rencontre en présentant les points-clés du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dont elle co-préside le groupe de travail sur les éléments scientifiques du changement climatique.

Approuvé en octobre 2018, ce rapport spécial met en exergue un certain nombre de conséquences des changements climatiques qui pourraient être évitées, si le réchauffement était limité à 1,5 °C, et non à 2 °C, tel que ciblé par l’Accord de Paris.

Sa rédaction a rassemblé 91 auteurs issus de 40 pays, avec une parité entre les représentants de pays développés et de pays en développement. Au total, plus de 6 000 publications scientifiques ont été analysées, dont 75 % publiées depuis 2014.

Parmi les conclusions sans équivoque, Valérie Masson-Delmotte fait valoir que les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1 °C sont déjà bien réelles, comme l’attestent notamment l’augmentation des extrêmes météorologiques, l’élévation du niveau de la mer et la diminution de la banquise arctique. « Ce réchauffement, il est dû à l’influence humaine […] car si la quantité de CO2 déversé dans l’atmosphère était de l’ordre de 15 milliards de tonnes dans les années 1970, ce sont désormais 40 milliards de tonnes qui sont émises chaque année. »

Le réchauffement se poursuit donc au rythme de 0,2 °C de plus tous les 10 ans. À ce rythme, le monde atteindra un climat plus chaud de 1,5 °C que le climat préindustriel, entre 2030 et 2050. « C’est le monde des jeunes générations d’aujourd’hui dont il est question », tranche-t-elle.

1,5 °C : à quoi s’attendre
L’évaluation approfondie du GIEC démontre que chaque demi-degré compte, en fait que même chaque dixième de degré compte, par rapport aux conséquences pour les sociétés humaines et pour les écosystèmes. La différence d’ampleur des risques encourus entre le scénario d’un monde de 1,5 °C de réchauffement et celui de 2 °C est significative.

À titre d’exemple, en limitant le réchauffement à 1,5 °C, on pourrait éviter 10 cm de montée du niveau des mers. Dans les régions au climat méditerranéen, cela voudrait aussi dire de diminuer de moitié la fraction de la population mondiale exposée au risque de pénurie d’eau. Ce sont également plusieurs centaines de millions de personnes en moins qui seraient susceptibles de basculer dans la pauvreté.

Plus localement, les analyses montrent que les pluies continueront de s’intensifier dans le secteur nord de l’Amérique du Nord, à mesure de l’augmentation du niveau moyen de réchauffement, avec une nette différence entre un réchauffement de 1,5 °C et de 2 °C.

Au-delà de l’Accord de Paris
Selon la scientifique, les engagements des pays signataires de l’Accord de Paris ne permettent tout simplement pas de contenir le réchauffement en deçà de 2 °C.

Dans les faits, les mesures prévues impliquent la poursuite de l’augmentation des émissions de GES, plus lentement jusqu’en 2030. « C’est plutôt sur une trajectoire de réchauffement de l’ordre de 3 °C que ce niveau-là d’ambition nous place », souligne-t-elle.

« Pour éviter de dépasser 1,5 °C de réchauffement global et pour avoir une chance de contenir le réchauffement largement en dessous de 2 °C, les émissions mondiales de CO2 devraient diminuer de manière substantielle dans la décennie qui vient. Dans ce contexte, avec plus de 40 milliards de tonnes de dioxyde de carbone qu’on met dans l’atmosphère, sachant que 15 à 40 % de ces émissions vont continuer à agir sur le climat sur une échelle de temps d’environ mille ans, chaque année compte. »

Agir éthiquement, maintenant
Contenir le réchauffement à 1,5 °C n’est pas impossible d’un point de vue géophysique, souligne Valérie Masson-Delmotte, bien que cet objectif exige des transformations sans précédent. « Si on veut avoir une chance d’y arriver, les émissions mondiales de CO2 devraient diminuer d’un facteur 2 entre maintenant et 2030, et être net zéro à horizon 2050. »

Il faut agir dès maintenant sur plusieurs fronts. Elle énumère : l’investissement en efficacité énergétique, la décarbonisation de la production électrique, la capacité de stockage des batteries, l’aménagement du territoire, la manière de penser les villes, les bâtiments et les transports. Le potentiel de l’économie circulaire devrait aussi être saisi par les industries. « Car si on attend 10 ans encore, le cumul des émissions de dioxyde de carbone fera qu’inéluctablement, on va dépasser un réchauffement de 1,5 °C. Ceci implique le risque de perte irréversible d’écosystèmes et le risque de crises pour les sociétés les plus fragiles. »

Et pour s’assurer de mener une transition éthique, il apparaît essentiel à son avis que chacun contribue à la hauteur de ses capacités, pour ne pas faire porter le poids des transformations de manière disproportionnée sur les plus pauvres. Les villes, les communautés, les entreprises et les pays auront à faire des choix intelligents de mesures permettant de s’adapter, qui protègeront les classes moins nanties.

Enfin, la conférencière insiste : la demande constitue le levier le plus important pour répondre au défi. La clé sera donc d’adopter des modes de vie sobres, en ce qui a trait surtout à la demande énergétique, à la demande en matériaux non renouvelables ainsi qu’à la demande en alimentation.

Valérie Masson-Delmotte conclut d’ailleurs en appuyant sur ce dernier point : chaque choix compte.

Mario Tremblay : la transition demande des fonds

Mario Tremblay, vice-président aux affaires corporatives et publiques du Fonds de solidarité FTQ, a quant à lui abordé la question des investissements responsables.

De par son rôle, il espère accélérer la transition vers « une économie plus sobre en carbone, pour lever cette hypothèque qu’on a prise sur l’environnement. Une économie où l’être humain sera au centre des priorités ».

Il précise d’entrée de jeu que le Fonds représente 15 milliards de dollars, confiés par 700 000 travailleurs. Ce Fonds canalise l’épargne des Québécois vers près de 3 000 entreprises, dont 90 % ont moins de 200 employés.

En 2016, l’organisation s’est d’ailleurs engagée dans un processus de transition énergétique, voulue à la fois socialement juste, économiquement viable et environnementalement responsable. « Un processus basé sur un dialogue social entre les entreprises, les travailleurs, les gouvernements et les communautés, dont le but est de planifier la transition de l’ensemble de l’économie, vers un mode de fonctionnement sobre en carbone. »

De la parole aux gestes
Parmi les mesures implantées, le Fonds a déjà annoncé son désinvestissement des entreprises de charbon thermique ainsi que la fin du financement de projets d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures au Québec. Il entend par ailleurs réduire de 25 % d’ici 2025 l’empreinte carbone de son portefeuille d’investissement dans les entreprises cotées à la bourse. Des projets pilotes d’accompagnement sont aussi en branle auprès de PME pour les aider à poser un diagnostic institutionnel et développer des stratégies pour réduire leur consommation d’énergie, d’eau, de papier, en plus de réduire leur quantité de matières résiduelles et d’émissions de GES.

Au Québec, les trois secteurs économiques les plus sollicités par cette transition sont l’énergie, le bâtiment et les transports. À eux seuls, ils représentent 700 000 emplois. Un accompagnement sera requis afin d’éviter de créer des laissés pour compte, comme ce fut le cas avec les pertes d’emplois massives dans le secteur du charbon des États-Unis.

Conscients de cette réalité, les acteurs sociaux québécois se mobilisent. En mai 2018, par exemple, un sommet sur la transition énergétique juste a réuni des syndicats, des groupes patronaux ainsi que des groupes environnementaux. Plusieurs enjeux ont été identifiés, dont le besoin de développement immédiat de programmes de formation de transition, pour accompagner les communautés touchées. Dans la même lignée de consultation, une tournée des régions est en cours, afin de rencontrer les travailleurs de tout le territoire dont le domaine est appelé à connaître de grandes transformations. Le portrait économique de la région est tracé, avec les opportunités et les menaces. Pour le Fonds, l’exercice permet d’identifier le potentiel d’action, ainsi que les possibilités d’investissement.

Le monde financier s’active
Pour Mario Tremblay, le rôle des institutions financières dans la transition est crucial. Il paraphrase à cet effet l’article 2 de l’Accord de Paris : « sans argent, pas de transition ».

Au chapitre des investissements, le Fonds lorgne tout particulièrement les champs suivants : l’efficacité énergétique, les nouveaux matériaux, les techniques de production, les technologies de production d’énergie verte, le stockage de l’énergie et les transports.

Or, ce sont tous les investisseurs mondiaux qui doivent se joindre à la partie, car l’injection de capitaux requise est colossale. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a estimé il y a deux ans que, pour avoir une chance sur deux de limiter la hausse à 2 °C, 75 trillions $ seront nécessaires d’ici 2040.

Devant ce défi, Mario Tremblay se fait rassurant. Il se réjouit de voir le monde financier se préoccuper de plus en plus activement du développement durable. Un changement de paradigme que l’on doit surtout à la pression sociale, selon lui. Cette mouvance, il l’attribue également à la nouvelle sensibilité des institutions financières vis-à-vis la gestion intégrée des risques. Le risque du climat étant maintenant inclus dans leurs calculs. Enfin, il cerne un réel changement de vision parmi les administrateurs de caisses de retraite, lesquels sont maintenant tenus de veiller aux intérêts financiers de leurs actionnaires, mais également de leurs employés, des parties prenantes et de l’environnement. « La recherche pure du profit n’est plus la prison qu’elle était », résume-t-il.

Convaincre et outiller
Convaincre les investisseurs de prendre part à la transition et leur donner des outils pour y arriver : voilà ce que Mario Tremblay s’est efforcé de faire en siégeant sur le comité consultatif derrière la rédaction du Guide pour une transition juste à l’intention des investisseurs, publié en décembre dernier par le Grantham Institute for Climate Change.

Parmi les éléments-clés de ce guide, il note l’importance du dialogue avec les entreprises. « Aujourd’hui, l’essentiel de la propriété des grandes entreprises est détenu par des investisseurs institutionnels », dit-il. Grâce à l’argent des épargnants, ces investisseurs ont un pouvoir énorme pour propulser des projets. « Lorsque l’on devient actionnaire d’une compagnie, on en devient en quelque sorte le citoyen corporatif. On dispose d’un droit de vote, comme un citoyen dans la société. » Bref, bien communiquer aux dirigeants la nature de nos valeurs est fondamental. En effet, « si on veut que notre argent serve à des fins avec lesquelles nous sommes en accord, faire valoir sa voix est la base. »

Il termine d’ailleurs avec un clin d’œil à la cofondatrice d’Équiterre, Laure Waridel, qui a popularisé l’expression « acheter, c’est voter ». Au même titre, il considère que « épargner, c’est voter. »

07/05/2019